Page:Gautier - Les Deux Etoiles.djvu/54

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lerez là comme dans un bois ou sur une plage déserte.

— Vous avez trop d’esprit, Bob, répondit Saunders ; vous ne vivrez pas jusqu’à votre mort, prenez-y garde !

Pendant que ceci se passait dans la chambre historiée des merveilleux gribouillages que nous venons de décrire, une yole, fine, légère, taillée en poisson, et manœuvrée par quatre rameurs qu’on aurait cru animés par un mécanisme, tant leurs mouvements s’opéraient avec une précision mathématique, remontait le cours de la Tamise sans paraître fatiguée de l’agitation des vagues, et du remous de la marée. Les avirons s’enfonçaient dans l’eau sans en faire jaillir une goutte, s’ouvraient et se fermaient avec la facilité d’un éventail de jolie femme.

Quoique la brume qui s’épaississait toujours, rendît la navigation difficile, et multipliât les chances d’abordage dans ces rues de navires qui forment une ville maritime en avant du pont de Londres, la yole se faufilait en frétillant entre les obstacles avec une adresse et une légèreté inouïes. On eût dit qu’elle portait à sa proue, tant était grande sa sensibilité divinatrice, ces tentacules qui font pressentir les objets à de certains insectes et qui sont comme la vue du toucher.

Quand elle eut dépassé le pont de Londres, dont les arches énormes s’ébauchant par grandes masses noires sur le ciel grisâtre formaient un de ces effets à la Martynn que les Anglais appellent babylonian, et qu’elle se trouva dans