Page:Gautier - Les Roues innocents.djvu/101

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étiez encore reçu dans la maison, bien vu de la jeune fille, et que j’eusse essayé de vous supplanter, je concevrais votre colère, qui m’étonne beaucoup dans les conditions où vous êtes.

— Je saurai bien vous forcer à vous battre avec moi…

— J’espère que non… à moins d’une insulte publique et grossière… Mais vous pensez peut-être que ma bénignité vient d’un manque de cœur : j’ai fait mes preuves, et je vais vous prouver qu’un duel ne peut avoir rien d’inquiétant pour moi. — John, apportez les pistolets à capsule et placez la plaque de tôle contre le mur.

John obéit avec un sang-froid parfait.

— Le pistolet est-il chargé ? demanda Rudolph.

— Oui, monsieur le baron, répondit le domestique.

— Je vais me faire un but, dit Rudolph en collant un imperceptible pain à cacheter sur la plaque.

Il tira sans presque ajuster. Le pain à cacheter avait disparu.

Cette épreuve fut renouvelée douze fois de suite avec le même succès. — Toujours la balle s’aplatissait sur le point blanc.

Il se fit ensuite suspendre un plomb au bout d’un fil, et à chaque coup le plomb tombait.

Henri regardait en silence.

— Je suis plus fort à l’épée, dit Rudolph.

— Eh bien ! vous me tuerez, voilà tout ; mais je saurai bien vous forcer à vous battre, répliqua Henri.

Et il se retira après un salut cérémonieux.

En effet, le baron Rudolph, qui dînait au café de Paris, reçut, le soir même, un verre de vin à travers la figure, de la main de Dalberg, assis à une table voisine.

L’adresse de Rudolph à l’escrime et au tir était si connue, qu’après cet affront Dalberg fut regardé