Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/11

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

pas : c’est un volume de prose de moins, voilà tout. Ne me méprisez donc pas parce que j’ai fait des contes ; j’ai pris ce parti, parce que c’est ce qu’il y a de moins littéraire au monde : à ma place vous eussiez agi de même, pour avoir le repos. Maintenant que me voilà suffisamment compromis, et que j’ai perdu ma virginale réputation, j’espère que mes bons amis me laisseront tranquille.

Je vous le proteste ici, afin que vous le sachiez, je hais de tout mon cœur ce qui ressemble, de près ou de loin à un livre : je ne conçois pas à quoi cela sert.

Les gros Plutarque in-folio, témoin celui de Chrysale, ont une utilité évidente : ils servent à mettre en presse, à défaut de rabats, puisqu’on n’en porte plus, les gravures chiffonnées et qui ont pris un mauvais pli ; on peut encore les employer à exhausser les petits enfants qui ne sont pas de taille à manger à table. Quant à nos in-octavo, je veux que le diable m’emporte si l’on peut en tirer parti et si je conçois pourquoi on les fait.

Il a pourtant été un temps où je ne pensais pas ainsi. Je vénérais le livre comme un dieu ; je croyais implicitement à tout ce qui était imprimé ; je croyais à tout, aux épitaphes des cimetières, aux éloges des gazettes, à la vertu des femmes. Ô temps d’innocence et de candeur !

Je m’amusais comme une portière à lire les Mystères d’Udolphe, le Château des Pyrénées, ou tout autre roman d’Anne Radcliffe ; j’avais du plaisir à avoir peur, et je pensais, avec Grey, que le paradis, c’était un roman devant un bon feu.