Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/116

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même à un facteur, six jours et six nuits seulement pour l’épeler.

Cette belle opération terminée, il ne s’agissait plus que de l’apprendre au public. Daniel mit tout en œuvre ; mais sa réputation était loin d’aller aussi vite qu’il l’aurait voulu ? un nom a tant de peine à se glisser dans les cervelles, entre tant d’autres noms ! entre le nom d’une maîtresse et celui d’un créancier, entre un projet de bourse et une spéculation sur le sucre ! Le nombre des grands hommes est si formidable, qu’à moins d’avoir une mémoire comme Darius, César ou le Père Ménétrier, il est bien difficile d’en savoir le compte. Je n’aurais jamais fini si je disais toutes les folles idées qui passèrent par la tête fêlée du pauvre Daniel Jovard.

Il eut maintes fois le désir d’écrire son nom sur toutes les murailles, entre les croquis priapiques et les nez de Bouginier, et autres ordures de l’époque, détrônées aujourd’hui par la poire de Philippon.

Quelle envie forcenée il portait à Crédeville, dont le nom était connu de toute la population parisienne, grâce à la signature apposée à l’angle de chaque rue ! Il aurait voulu s’appeler Crédeville, même au prix de l’épithète de voleur, qui l’accompagne imperturbablement.

Il eut l’idée de faire promener le nom si laborieusement forgé sur les épaules et la poitrine de l’homme-affiche, ou de le faire broder sur son propre gilet, en grandes lettres, et cela bien avant les Saint-Simoniens.