Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/129

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jaune et bistré, mais clair et transparent comme celui de la belle Romaine, d’Ingres ; c’était incontestablement un teint d’Espagnole ou d’Italienne ; et si la passion n’habitait pas sous cette peau olivâtre et dans ces beaux yeux noirs, c’est qu’il n’y en avait plus en ce monde, et qu’il fallait l’aller chercher dans l’autre.

Une seule chose contrariait Rodolphe, c’était le mari, avec sa bonne et honnête figure. Il l’aurait souhaité tout différent, car il n’avait guère le physique d’un mari comme il les faut dans les drames. Il avait des favoris soigneusement taillés, le haut de la tête un peu chauve, une belle cravate blanche pas trop mal mise, ma foi ! pour un mari qui n’est qu’avec sa femme, des gants pas trop larges et un gilet d’une coupe assez nouvelle. Il n’avait rien d’Othello ni de Georges Dandin, il n’avait l’air ni ridicule ni terrible, il était aussi parfaitement incapable de se battre en duel avec l’amant de sa femme que de la faire citer devant les tribunaux ; il gardait dans ces occasions-là le silence le plus philosophique. À dire vrai, il n’y faisait pas grande attention, et ses lunettes bleues ne lui servaient pas à voir plus clair dans ces sortes de choses : c’était un mari convenable et sachant le monde. Je souhaite que vous en puissiez trouver un pareil pour mademoiselle votre fille, si Dieu vous en a affligé d’une.

Rodolphe comprit, à la première vue, que le drame n’était pas possible de ce côté-là ; mais il