Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/141

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Il jeta le pyramidal bonnet à Mariette, et enfonça son chapeau sur sa tête, avec l’air de Manfred, sur le bord du glacier, ou de Faust, au moment de se donner au diable.

Ah ! massacre et malheur ! honte et chaos ! tison d’enfer ! anathème et dérision ! terre et ciel ! tête et sang ! être rencontré en bonnet de coton par sa Béatrix ! Ô Fortune ! pouvais-tu jouer un tour plus cruel à un jeune homme dantesque et passionné !

Byron lui-même, qui avait l’ineffable avantage de signer comme Bonaparte, aurait paru ridicule avec un bonnet de coton ; à plus forte raison Rodolphe, qui ne signait pas comme Bonaparte, et qui n’avait fait ni le Corsaire ni Don Juan ; parce qu’il avait été trop occupé jusqu’à ce jour, et non pour un autre motif, je vous jure.

Un bonnet de coton, le mythe de l’épicier, le symbole du bourgeois ! Horror ! horror ! horror !

— Je n’ai plus rien à faire avec ce monde, et il ne me reste qu’à mourir, pensa Rodolphe.

Et il se dirigea vers le pont Royal ; quand il y fut arrivé, il s’accouda sur le garde-fou, regarda le soleil, attendit qu’un bateau qui descendait la rivière eût passé l’arche et se fût un peu éloigné. Alors il monta sur le parapet, et, avant que personne eût le temps de s’y opposer, il se jeta en bas, avec sa cravache et son chapeau.

Dans le trajet du pont à la surface de l’eau, il eut le temps de penser que le succès de son poëme était assuré par son suicide et que le libraire en ven-