Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/204

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des connaisseurs comme vous, je ne puis farcir ma dinde de marrons au lieu de truffes ; vous êtes trop fins gourmets pour ne pas vous en apercevoir tout de suite, et vous crieriez haro sur moi ; ce que je veux éviter par-dessus toute chose.

Rodolphe sortit tout désespéré de la platitude et du peu de tournure de la scène sur laquelle il avait tant compté. Il marchait devant lui, son mouchoir mettant le nez hors de sa poche, son chapeau en arrière, sa cravate dénouée, ses deux pouces dans les goussets de sa culotte, dans l’attitude physique et morale d’un homme anéanti.

Il se heurta contre quelque chose de trop flasque pour être une muraille et de trop dur pour être une nourrice, et il vit, à son grand ébahissement, que ce n’était autre chose que son ami Albert.

rodolphe. — Sacrédieu ! tu devrais bien prendre garde quand tu marches à ce que tu as devant toi.

albert. — Voici une morale assez déplacée, d’autant que tu allais le nez en terre, comme un porc qui cherche des truffes.

rodolphe. — Merci de la comparaison ; elle est flatteuse.

albert. — Un porc qui trouve des truffes vaut bien, ou je meure ! un poëte qui ne trouve que des rimes.

rodolphe. — De bonnes truffes sont bonnes, ceci est incontestable ; mais de bonnes rimes ne sont pas à dédaigner, surtout par le temps qui court : une bonne rime est la moitié d’un vers.