Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/22

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sur le malheur d’être abandonnée par son ou ses amants. J’en ai moi-même récité un nombre incalculable. Je me culotte, comme disent mes dignes amis, et il paraît que je deviens un homme à la mode. Mes deux cornacs prétendent même que j’ai eu plusieurs bonnes fortunes : soit, puisqu’on est convenu d’appeler cela ainsi.

Comme je suis naturellement olivâtre et fort pâle, les dames me trouvent d’un satanique et d’un désillusionné adorable ; les petites filles se disent entre elles que je dois avoir beaucoup souffert du cœur : du cœur, peu, mais de l’estomac, passablement.

Je suis décidé à exploiter cette bonne opinion qu’on a de moi. Je veux être le personnage cumulatif de toutes les variétés de don Juan, comme Bonaparte l’a été de tous les conquérants.

Les trois mille noms charmants seront dépassés de beaucoup. Le don Juan de Molière n’est qu’un Céladon auprès de moi ; celui de Byron un misérable cokeney ; le Zaffye d’Eugène Sue est innocent comme une rosière. J’ai préparé, pour y inscrire mes triomphes, un livre blanc beaucoup plus gros que celui de Joconde et du prince Lombard ; j’ai fait emplette de quelques rames de papier à lettres azuré, de bâtons de cire rose et aventurine, pour répondre aux billets doux qu’on m’écrira. Je n’ai pas oublié une échelle de soie : l’échelle de soie est de première importance, car je n’entrerai plus maintenant dans les maisons que par les fenêtres.

Personne ne me résistera : j’aurai mille scélératesses