Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/233

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savait combien avait coûté la menuiserie des stalles, du banc de l’œuvre et de la chaire, ce qu’il avait fallu de temps pour poser la clef de voûte, suspendre la lancette et le pendentif ; il lisait couramment les inscriptions de toutes les tombes ; il expliquait les blasons ; il connaissait le sujet de tous les tableaux et de toutes les peintures des vitrages ; il vous eût conté comment l’orgue, don d’un empereur d’Orient, était le premier qu’on eût vu en Europe ; et bien d’autres, si vous l’eussiez laissé faire, car il ne tarissait pas sur ce sujet ; et, quand il en parlait, sa figure s’animait singulièrement, ses yeux, d’un bleu terne, brillaient d’un éclat extraordinaire.

Cette pauvre âme, oubliée dans un coin du ciel par son ange gardien, amoureux sans doute de quelque Éloa, et jetée ensuite dans un monde dont toutes ses sœurs s’en étaient allées, nageait alors dans une joie ineffable et pure : elle se croyait en 1500.

Pour tromper son ennui, le bon Élias Wildmanstadius sculptait, avec un canif, de petites cathédrales de liège, peignait des miniatures à la manière gothique, transcrivait de vieilles chroniques, et faisait des portraits de vierges, avec des auréoles et des nimbes d’or.

Il vécut ainsi fort longtemps, peu compris et ne pouvant comprendre. Sa fin fut digne de sa vie. Il y a deux ans, le tonnerre tomba sur la cathédrale, et y fit de grands ravages. Par l’effet d’une sympathie mystérieuse, le bon Élias mourut de mort subite, précisément à la même heure, dans sa maison (c’est