Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/26

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Au bruit sourd du passé qui s’écroule au néant,
Dansons gaîment au bord de l’abîme béant.
Voici le punch qui bout et siffle dans la coupe
Que la bande joyeuse autour du bol se groupe !
En avant les viveurs ! Usons bien nos beaux ans ;
Faisons les lords Byrons et les petits dons Juans ;
Fumons notre cigare, embrassons nos maîtresses ;
Enivrons-nous, amis, de toutes les ivresses,
Jusqu’à ce que la Mort, cette vieille catin,
Nous tire par la manche au sortir d’un festin,
Et, nous amadouant de sa voix douce et fausse,
Nous fasse aller cuver notre vin dans la fosse.
La Farce du Monde, Moralité.


Il pouvait bien être deux heures du matin. La chandelle, non mouchée, avait un pied de nez ; le feu était presque éteint.

Mon ami Théodore, accoudé sur sa table avec une désinvolture toute bachique, fumait une pipe courte et noire noblement culottée, un digne brûle-gueule, à faire envie à un caporal de la vieille garde.

De temps en temps il déposait sa pipe, et se donnait gravement à boire par-dessus l’épaule, ou à côté de la bouche, ou se versait d’une bouteille vide, ou laissait tomber son verre plein ; bref, notre ami Théodore était complétement ivre.

Et cela n’eût paru étonnant à personne, à voir la longue file

Qui disaient, sansDe bouteilles sur cu
Qui disaient, sans goulot : Nous avons trop vécu.

À moins qu’il n’en eût jeté le contenu par la fenêtre, ce qui est peu probable, il devait mathématiquement et logiquement être ivre-mort. Il y aurait eu de quoi griser un tambour-major et