Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/281

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— N’importe, répondit Angéla d’un ton boudeur.

Et elle passa son bras d’ivoire autour de mon cou.

Prestissimo ! cria la voix.

Et nous commençâmes à valser. Le sein de la jeune fille touchait ma poitrine, sa joue veloutée effleurait la mienne, et son haleine suave flottait sur ma bouche.

Jamais de la vie je n’avais éprouvé une pareille émotion ; mes nerfs tressaillaient comme des ressorts d’acier, mon sang coulait dans mes artères en torrent de lave, et j’entendais battre mon cœur comme une montre accrochée à mes oreilles.

Pourtant cet état n’avait rien de pénible. J’étais inondé d’une joie ineffable et j’aurais toujours voulu demeurer ainsi, et, chose remarquable, quoique l’orchestre eût triplé de vitesse, nous n’avions besoin de faire aucun effort pour le suivre.

Les assistants, émerveillés de notre agilité, criaient bravo, et frappaient de toutes leurs forces dans leurs mains, qui ne rendaient aucun son.

Angéla, qui jusqu’alors avait valsé avec une énergie et une justesse surprenantes, parut tout à coup se fatiguer ; elle pesait sur mon épaule comme si les jambes lui eussent manqué ; ses petits pieds, qui, une minute auparavant, effleuraient le plancher, ne s’en détachaient que lentement, comme s’ils eussent été chargés d’une masse de plomb.

— Angéla, vous êtes lasse, lui dis-je, reposons-nous.