Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/288

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Clary, tantôt à Musidora, et toujours sans succès. Je m’étais tellement dépité, qu’un certain soir j’eus une sérieuse envie de me faire sauter ce qui me restait de cervelle. Ce qui m’empêcha de le faire, ce fut l’idée que je laisserais la place libre au gilet de Ferdinand, et cette réflexion judicieuse que je ne pourrais pas essayer l’habit que mon tailleur devait m’apporter le lendemain. Je remis mes projets de suicide à une autre fois ; mais, en vérité, je ne sais pas encore aujourd’hui si j’ai bien fait ou mal fait.

En examinant bien mon cœur, je fis cette horrible découverte que j’aimais à la fois les deux sœurs. Oui, madame, cela est vrai, quoique ce soit abominable, et peut-être même parce que c’est abominable ; toutes les deux ! Je vous entends d’ici dire, en faisant votre jolie petite moue « Le monstre ! » Je vous assure que je suis pourtant le plus inoffensif garçon du monde ; mais le cœur de l’homme, quoiqu’il ne soit pas à beaucoup près aussi singulier que celui de la femme, est encore une bien singulière chose, et nul ne peut répondre de ce qui lui arrivera, pas même vous, madame. Il est probable que, si je vous avais connue plus tôt, je n’aurais aimé que vous : mais je ne vous connaissais pas.

Clary était grande et svelte comme une Diane antique : elle avait les plus beaux yeux du monde, des sourcils qu’on aurait pu croire tracés au pinceau, un nez fin et hardiment profilé, un teint d’une pâleur chaude et transparente, les mains fines et correctes, le bras charmant quoiqu’un peu maigre, et