Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/311

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Quoique aux importantes fonctions de maître d’école il ajoutât celles non moins importantes de bedeau, de chantre, de sonneur, il n’en était pas plus fier. À ses heures de relâche, il soignait le jardin de mon oncle, et, l’hiver, il lisait une page ou deux de Voltaire ou de Rousseau en cachette ; car, étant plus d’à moitié prêtre, comme il le disait, une pareille lecture n’eût pas été convenable en public.

C’était un esprit sec, exact cependant, mais sans rien d’onctueux. Il ne comprenait rien à la poésie, il n’avait jamais été amoureux, et n’avait pas pleuré une seule fois dans sa vie. Il n’avait aucune des charmantes superstitions de campagne, et il grondait toujours Berthe quand elle nous racontait une histoire de fée ou de revenant. Je crois qu’au fond il pensait que la religion n’était bonne que pour le peuple. En un mot, c’était la prose incarnée, la prose dans toute son étroitesse, la prose de Barème et de Lhomond.

Son extérieur répondait parfaitement à son intérieur. Il avait quelque chose de pauvre, d’étriqué, d’incomplet, qui faisait peine à voir et donnait envie de rire en même temps. Sa tête, bizarrement bossuée, luisait à travers quelques cheveux gris ; ses sourcils blancs se hérissaient en buisson sur deux petits yeux vert de mer, clignotants et enfouis dans une patte d’oie de rides horizontales. Son nez, long comme une flûte d’alambic, tout diapré de verrues, tout barbouillé de tabac, se penchait amoureusement sur son menton.