Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/316

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broche avait inutilement essayé de lier conversation avec lui, il restait muet au fond de son trou.

La cuisine se ressentit bientôt de ce revers de fortune. Elle fut réduite à une simplicité évangélique. Adieu les poulardes blondes, si appétissantes dans leur lit de cresson, la fine perdrix au corset de lard, la truite à la robe de nacre semée d’étoiles rouges ! Adieu, les mille gourmandises dont les religieuses et les gouvernantes des prêtres connaissent seules le secret ! Le bouilli filandreux avec sa couronne de persil, les choux et les légumes du jardin, quelques quartiers aigus de fromage, composaient le modeste dîner de mon oncle.

Le cœur saignait à Berthe quand il lui fallait servir ces plats simples et grossiers ; elle les posait dédaigneusement sur le bord de la table, et en détournait les yeux. Elle se cachait presque pour les apprêter, comme un artiste de haut talent qui fait une enseigne pour dîner. La cuisine, jadis si gaie et si vivante, avait un air de tristesse et de mélancolie.

Le brave Tom lui-même semblait comprendre le malheur qui était arrivé : il restait des journées entières assis sur son derrière, sans se permettre la moindre gambade ; le coucou retenait sa voix d’argent et sonnait bien bas ; les casseroles, inoccupées, avaient l’air de s’ennuyer à périr ; le gril étendait ses bras noirs comme un grand désœuvré ; les cafetières ne venaient plus faire la causette auprès du feu : la flamme était toute pâle, et un maigre filet de fumée rampait tristement au long de la plaque.