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Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/349

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bleuâtres et le brouillard du soir ; au delà la vue s’étendait sur le Prater et le Danube : c’était une promenade faite à souhait pour un poète.

Un jeune homme arpentait cette allée avec des signes visibles d’impatience ; son costume, d’une élégance un peu théâtrale, consistait en une redingote de velours noir à brandebourgs d’or bordée de fourrure, un pantalon de tricot gris, des bottes molles à glands montant jusqu’à mi-jambes. Il pouvait avoir de vingt-sept à vingt-huit ans ; ses traits pâles et réguliers étaient pleins de finesse, et l’ironie se blottissait dans les plis de ses yeux et les coins de sa bouche ; à l’Université, dont il paraissait récemment sorti, car il portait encore la casquette à feuilles de chêne des étudiants, il devait avoir donné beaucoup de fil à retordre aux philistins et brillé au premier rang des burschen et des renards.

Le très court espace dans lequel il circonscrivait sa promenade montrait qu’il attendait quelqu’un ou plutôt quelqu’une, car le Jardin impérial de Vienne, au mois de novembre, n’est guère propice aux rendez-vous d’affaires.

En effet, une jeune fille ne tarda pas à paraître au bout de l’allée : une coiffe de soie noire couvrait ses riches cheveux blonds, dont l’humidité du soir avait légèrement défrisé les longues boucles ; son teint, ordinairement d’une blancheur de cire vierge, avait pris sous les morsures du froid des nuances de roses de Bengale. Groupée et pelotonnée comme elle était dans sa mante garnie de martre, elle ressemblait à