Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/355

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comptoir, des improvisateurs morlaques, accompagnés d’un joueur de guzla, récitaient une espèce de complainte dramatique qui paraissait divertir beaucoup une douzaine de figures étranges, coiffées de tarbouchs et vêtues de peau de mouton.

Henrich se dirigea vers le fond de la cave et alla prendre place à une table où étaient déjà assis trois ou quatre personnages de joyeuse mine et de belle humeur.

— Tiens, c’est Henrich ! s’écria le plus âgé de la bande ; prenez garde à vous, mes amis : fœnum habet in cornu. Sais-tu que tu avais vraiment l’air diabolique l’autre soir : tu me faisais presque peur. Et comment s’imaginer qu’Henrich, qui boit de la bière comme nous et ne recule pas devant une tranche de jambon froid, vous prenne des airs si venimeux, si méchants et si sardoniques, et qu’il lui suffise d’un geste pour faire courir le frisson dans toute la salle ?

— Eh ! pardieu ! c’est pour cela qu’Henrich est un grand artiste, un sublime comédien. Il n’y a pas de gloire à représenter un rôle qui serait dans votre caractère ; le triomphe, pour une coquette, est de jouer supérieurement les ingénues.

Henrich s’assit modestement, se fit servir un grand verre de vin mélangé, et la conversation continua sur le même sujet. Ce n’était de toutes parts qu’admiration et compliments.

— Ah ! si le grand Wolfgang de Gœthe t’avait vu ! disait l’un.