Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/365

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voudrais me jeter du haut d’une tour et tomber dans la lune. Adieu !

Et mon ami disparut si subitement, que je dus croire qu’il était entré dans le mur comme Cardillac.

Un soir, je revenais d’un théâtre lointain situé vers le pôle arctique du boulevard ; il commençait à tomber une de ces pluies fines, pénétrantes, qui finissent par percer le feutre, le caoutchouc, et toutes les étoffes qui abusent du prétexte d’être imperméables pour sentir la poix et le goudron. Les voitures de place étaient partout, excepté, bien entendu, sur les places. À la douteuse clarté d’un réverbère qui faisait des tours d’acrobate sur la corde lâche, je reconnus mon ami, qui marchait à petits pas comme s’il eût fait le plus beau temps du monde.

— Que faites-vous maintenant ? lui dis-je en passant mon bras sous le sien.

— Je m’exerce à voler.

— Diable ! répondis-je avec un mouvement involontaire et en portant la main sur ma poche.

— Oh ! je ne travaille pas à la tire, soyez tranquille, je méprise les foulards ; je m’exerce à voler, mais non sur un mannequin chargé de grelots comme Gringoire dans la cour des Miracles. Je vole en l’air, j’ai loué un jardin du côté de la barrière d’Enfer, derrière le Luxembourg ; et, la nuit, je me promène à cinquante ou soixante pieds d’élévation ; quand je suis fatigué, je me mets à cheval sur un tuyau de cheminée. C’est commode.