Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/367

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le diable, l’inconnu, celui qui rôde la nuit, quærens quem devoret. On frappa encore, et je vis se dessiner à travers la vitre des traits qui ne m’étaient pas étrangers. Une voix prononça mon nom et me dit :

— Ouvrez donc, il fait un froid atroce.

Je me levai. J’ouvris la fenêtre, et mon ami sauta dans la chambre. Il était entouré d’une ceinture gonflée de gaz ; des ligatures et des ressorts couraient le long de ses bras et de ses jambes ; il se défit de son appareil et s’assit devant le feu, dont je ranimai les tisons. Je tirai de l’armoire deux verres et une bouteille de vieux bordeaux. Puis je remplis les verres, que mon ami avala tous deux par distraction, c’est-à-dire dont il avala le contenu. Sa figure était radieuse. Une espèce de lumière argentée brillait sur son front, ses cheveux jouaient l’auréole à s’y méprendre.

— Mon cher, me dit-il après une pause, j’ai réussi tout à fait ; l’aigle n’est qu’un dindon à côté de moi. Je monte, je descends, je tourne, je fais ce que je veux, c’est moi qui suis Raimond le roi des airs. Et cela, par un moyen si facile, si peu embarrassant ! mes ailes ne coûtent guère plus qu’un parapluie ou une paire de socques. Quelle étrange chose ! Un petit calcul grand comme la main, griffonné par moi sur le dos d’une carte, quelques ressorts arrangés par moi d’une certaine manière, et le monde va être changé. Le vieil univers a vécu : religion, morale, gouvernement tout sera renou-