Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/73

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des vers ; dans ma triste situation, ils ne pouvaient pas être fort gais : ceux du nocturne Young et du sépulcral Hervey ne sont que des bouffonneries, comparés à ceux-là. J’y dépeignais les sensations d’un homme conservant sous terre toutes les passions qu’il avait eues dessus, et j’intitulai cette rêverie cadavéreuse : La vie dans la mort. Un beau titre, sur ma foi ! et ce qui me désespérait, c’était de ne pouvoir les réciter à personne.

« J’avais à peine terminé la dernière strophe, que j’entendis piocher avec ardeur au-dessus de ma tête. Un rayon d’espérance illumina ma nuit. Les coups de pioche se rapprochaient rapidement. La joie que je ressentis ne fut pas de longue durée : les coups de pioche cessèrent. Non, l’on ne peut rendre avec des mots humains l’angoisse abominable que j’éprouvai en ce moment ; la mort réelle n’est rien en comparaison. Enfin j’entendis encore du bruit : les fossoyeurs, après s’être reposés, avaient repris leur besogne. J’étais au ciel ; je sentais ma délivrance s’approcher. Le dessus du cercueil sauta. Je sentis l’air froid de la nuit. Cela me fit grand bien, car je commençais à étouffer. Cependant mon immobilité continuait ; quoique vivant, j’avais toutes les apparences d’un mort. Deux hommes me saisirent : voyant les coutures du linceul rompues, ils échangèrent en ricanant quelques plaisanteries grossières, me chargèrent sur leurs épaules et m’emportèrent. Tout en marchant ils chantonnaient à demi-voix des couplets obscènes. Cela me fit penser