Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/77

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

rai tristement pour ne pas assister à ce triomphe qui m’était dû. Je voulus voir Jacintha. J’allai chez elle, je ne la trouvai pas je la cherchai vainement dans plusieurs maisons où je pensais qu’elle pourrait être. Ennuyé d’être seul, quoiqu’il fût déjà tard, l’envie me prit d’aller au spectacle ; j’entrai à la Porte-Saint-Martin, je fis réflexion que mon nouvel état avait cela d’agréable que je passais partout sans payer. La pièce finissait, c’était la catastrophe. Dorval, l’œil sanglant, noyée de larmes, les lèvres bleues, les tempes livides, échevelée, à moitié nue, se tordait sur l’avant-scène à deux pas de la rampe. Bocage, fatal et silencieux, se tenait debout dans le fond : tous les mouchoirs étaient en jeu ; les sanglots brisaient les corsets ; un tonnerre d’applaudissements entrecoupait chaque râle de la tragédienne ; le parterre, noir de têtes, houlait comme une mer ; les loges se penchaient sur les galeries, les galeries sur le balcon. La toile tomba : je crus que la salle allait crouler : c’étaient des battements de mains, des trépignements, des hurlements ; or, cette pièce était ma pièce : jugez ! J’étais grand à toucher le plafond. Le rideau se leva, on jeta à cette foule le nom de l’auteur.

« Ce n’était pas le mien, c’était le nom de l’ami qui m’avait déjà volé mon tableau. Les applaudissements redoublèrent. On voulait traîner l’auteur sur le théâtre : le monstre était dans une loge obscure avec Jacintha. Quand on proclama son nom, elle se jeta à son cou, et lui appuya sur la bouche le