Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/8

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triste et banal ; cependant que diriez-vous d’une femme qui irait se jeter tout d’abord à votre tête ? Vous lui diriez comme le More de Venise à Desdemona :


. . . . à bas, prostituée !


Cette femme serait une catin sans vergogne : pourquoi voulez-vous donc qu’un livre soit plus effronté qu’une femme, et qu’il se livre à vous sans préliminaire ? Il est vrai que la fille que vous louez six francs n’y fait pas tant de façons, et vous avez acheté le livre vingt sous de plus que la fille. Il est à vous, vous pouvez en user et en abuser ; vous n’accorderez pas même à sa virginité le quart d’heure de grâce, vous le touchez, vous le maniez, vous le traînez de votre table à votre lit, vous rompez sa robe d’innocence, vous déchirez ses pages : pauvre livre !

La préface, c’est la pudeur du livre, c’est sa rougeur, ce sont les demi-aveux, les soupirs étouffés, les coquettes agaceries, c’est tout le charme : c’est la jeune fille qui reste longtemps à dénouer sa ceinture et à délacer son corset, avant d’entrer au lit où son amoureux l’attend. Quel est le stupide, quel est l’homme assez peu voluptueux pour lui dire : Dépêche-toi !

D’autant que le corset et la chemise dissimulent souvent une épaule convexe et une gorge concave, d’autant que la préface cache souvent derrière elle un livre grêle et chétif.

Ô lecteurs du siècle ! ardélions inoccupés qui vivez en courant et prenez à peine le temps de mourir, plaignez-