Page:Gautier - Les jeunes France, romans goguenards.djvu/92

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d’étincelles jaillit du pied des chevaux. Ils partirent au galop ; le cocher cria : Gare ! il ne se dérangea pas : les chevaux étaient lancés trop fort pour qu’on pût les retenir. Jacintha poussa un cri ; Onuphrius crut que c’était fait de lui ; mais chevaux, cocher, voiture, n’étaient qu’une vapeur que son corps divisa comme l’arche d’un pont fait d’une masse d’eau qui se rejoint ensuite. Les morceaux du fantastique équipage se réunirent à quelques pas derrière lui, et la voiture continua à rouler comme s’il ne fût rien arrivé. Onuphrius, atterré, la suivit des yeux : il entrevit Jacintha, qui, ayant levé le store, le regardait d’un air triste et doux, et le dandy à barbe rouge qui riait comme une hyène ; un angle de la rue l’empêcha d’en voir davantage ; inondé de sueur, pantelant, crotté jusqu’à l’échine, pâle, harassé de fatigue et vieilli de dix ans, Onuphrius regagna péniblement le logis. Il faisait grand jour comme la veille ; en mettant le pied sur le seuil il tomba évanoui. Il ne sortit de sa pâmoison qu’au bout d’une heure ; une fièvre furieuse y succéda. Sachant Onuphrius en danger, Jacintha oublia bien vite sa jalousie et sa promesse de ne plus le voir ; elle vint s’établir au chevet de son lit, et lui prodigua les soins et les caresses les plus tendres. Il ne la reconnaissait pas ; huit jours se passèrent ainsi ; la fièvre diminua ; son corps se rétablit, mais non pas sa raison ; il s’imaginait que le Diable lui avait escamoté son corps, se fondant sur ce qu’il n’avait rien senti lorsque la voiture lui avait passé dessus.