Page:Gautier - Lucienne, Calmann Lévy, 1877.djvu/158

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l’ancien dont vous avez fait un oncle de comédie. Cela se conçoit.

Lucienne restait appuyée contre la porte, comme pétrifiée.

Sous l’émotion de cet adieu poignant, toute frémissante encore de ce premier baiser du seul homme qu’elle eût aimé, avoir à subir une scène de jalousie banale ! écouter des injures, des reproches ! c’était trop, elle ne se sentait pas la force de répondre.

Le vieillard semblait prendre plaisir à voir ce trouble, auquel il attribuait une autre cause.

— Cela vous contrarie, n’est-ce pas, reprit-il, que j’aie découvert vos petites infamies ? Voilà : je ne suis pas aussi bête qu’on veut bien le croire ; depuis longtemps je vous guettais ; je vous ai entendue lui donner un rendez-vous hier. Et je vous ai attendue pour que vous ne puissiez pas nier.

Il s’était levé et se promenait de long en large, s’excitant lui-même à la colère.

— C’était très-commode, j’en conviens, continua-t-il ; on réservait ses faveurs au jeune ; au vieux on gardait les migraines, les courbatures, les maux de nerfs. Cependant, il était encore assez bon pour payer les dépenses et pour faire l’oncle… Ah çà ! est-ce que ce monsieur s’imagine avoir séduit ma nièce ? Si je le forçais à vous épouser ? Hein ! quelle jolie vengeance !

— Finissons-en, dit Lucienne, que cette dernière injure tira de sa torpeur. Je n’ai jamais eu le projet de vous tromper. Mon intention était d’avoir