Page:Gautier - Lucienne, Calmann Lévy, 1877.djvu/182

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pâle. Dépassant les collines d’un violet intense, les peupliers découpaient sur cet or incandescent leur délicate ossature. Tout le bas du paysage se perdait dans une ombre bistrée et chaude.

Soudain, la cloche de l’église s’ébranla et emplit l’air de ses vibrations profondes. Presque aussitôt, un son de trompe se fit entendre dans la campagne, lent, mélancolique, prolongé.

Ce bruit éveilla un souvenir confus dans la mémoire de Lucienne ; il lui semblait qu’elle l’avait déjà entendu à cette même heure, mêlé comme ce soir au son de la cloche et dans ce même paysage instinctivement elle chercha des yeux une fontaine. Elle en vit une en effet, entre les arbres, au milieu de la place. La vasque pleine d’eau reflétait le ciel et faisait une tache brillante dans la demi-obscurité.

Lucienne attendait quelque chose qui devait compléter le tableau qu’elle revoyait. Quoi ? Elle n’aurait pu le préciser, mais elle savait que quelque chose devait se passer à cette fontaine.

La cloche s’était tue, mais la trompe continuait à sonner sa note monotone.

Bientôt un grand troupeau arriva par la route qui venait des champs, les bœufs s’avançaient seuls, sans berger, sans qu’aucun chien les guidât. Quelques-uns vinrent plonger leurs mufles dans l’eau pareille à de l’argent en fusion, et firent retomber des ruissellements lumineux ; puis des groupes se formèrent, et de différents côtés les bêtes s’en allèrent chacune vers son étable.