Page:Gautier - Lucienne, Calmann Lévy, 1877.djvu/253

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nous voilà associés, nous ne craignons plus rien. Personne n’osera s’attaquer à quelqu’un que je protège ; j’ai le bras solide encore, et on ne l’ignore pas. Je jouis de quelque autorité ici, ayant rendu certains services à la ville ; et l’on a peur de moi, quoique je ne sois guère dangereux. On me traite bien de maniaque et d’original lorsque j’ai le dos tourné ; et cela parce que je n’aime pas les commérages, et que je vis au milieu des habitants de F… sans me soucier d’eux ; néanmoins, vous ne pourriez trouver dans toute la ville un chaperon plus convenable.

La jeune fille souriait au vieillard, en attachant sur lui un regard humide encore et plein de reconnaissance.

— Que vous êtes bon d’être venu à moi ! dit-elle ; je sentais que je ployais sous le poids du chagrin et du découragement ; mais maintenant ma tâche va être bien facile.

— Pauvre petite, je ne m’étais donc pas trompé, dit-il, vous souffrez. Mais maintenant il faut me faire une narration exacte de votre vie ; ce n’est pas la curiosité qui me pousse à vous demander cela, mais j’ai besoin de vous bien connaître. Allons, j’écoute.

Lucienne lui raconta brièvement les principales phases de sa vie.

— C’est bien ce que je soupçonnais en partie, dit-il, lorsqu’elle eut fini. Mais avez-vous tout dit ? ne me cachez-vous rien ?