Page:Gautier - Lucienne, Calmann Lévy, 1877.djvu/278

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Elle repassa alors dans sa mémoire la scène décisive qui s’était jouée là. Elle fermait à demi les yeux et s’efforçait de s’imaginer qu’Adrien était encore agenouillé devant elle. Elle revoyait ses yeux clairs la regardant avec une expression inquiète et triste, ses cheveux lustrés découvrant son beau front que traversait une mince cicatrice blanche, ses lèvres sérieuses qu’elle aimait tant, et dont la gravité lui inspirait cependant un respect craintif.

— Le reverrai-je vraiment un jour ? se disait-elle ; entendrai-je encore sa voix ? Par instant, il me semble qu’un tel bonheur est impossible.

Elle se souvint aussi que c’était là qu’elle avait vu pour la première fois M. Lermercier, et elle admira ce jeu du hasard qui avait fait apparaître à ses yeux, juste au moment où elle venait de fixer définitivement son avenir, l’homme qui devait l’aider à accomplir la tâche qu’elle s’imposait. Elle resta là longtemps absorbée dans ses souvenirs, et ne s’éloigna qu’en voyant le soleil couchant empourprer le ciel.

Lorsqu’elle arriva au chalet, une voiture redescendait la pente du chemin. Dans le vestibule, elle trouva le vieux domestique qui chargeait une malle sur son épaule.

— Il est arrivé ? demanda-t-elle.

— Oui, mademoiselle, répondit Bernard d’un air joyeux, il est dans sa chambre qui fait un bout de toilette, je lui monte sa malle.

Lucienne traversa la grande salle et monta à la