Page:Gautier - Lucienne, Calmann Lévy, 1877.djvu/299

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— L’amour qui se discute lui-même n’est pas, à mon avis, de l’amour, dit Stéphane. La tempête déchaînée ne s’arrête pas devant un raisonnement. Pour celui qui sait aimer, l’être qu’il aime ne peut pas avoir tort ; c’est un despote adoré qui peut vous faire cruellement souffrir, mais à qui on ne demande jamais de vous rendre la liberté. Vous ne m’avez pas compris, Lucienne, si vous avez cru qu’une circonstance quelconque pourrait m’arracher mon amour. Vous commettriez un crime, que je me dirais votre complice, sans songer même à vous juger. Voilà comment je vous aime.

— Mais c’est terrible ! s’écria Lucienne ; qu’adviendra-t-il ? qu’espérez-vous ?

— Je n’ai pas la plus légère espérance, dit le jeune homme, et il ne m’arrivera rien, que de vous aimer toute ma vie.

— Comment ! sans but, sans aliment, votre malheureux amour aura la force d’exister ?

— Il est robuste, je vous le jure, et, puisqu’il a su résister à ma volonté surexcitée jusqu’à la fureur, il est inexpugnable dans la forteresse qu’il s’est conquise.

— Quelle vie serait la vôtre, si vous ne vous trompiez pas ! dit Lucienne. Mais ce sentiment qui me semble toucher à la folie ne peut durer. Je vous en prie, cessez de m’aimer ainsi ; efforcez-vous de changer cette passion en douce et profonde amitié.

— Jamais ! dit-il, en attachant sur elle son regard intrépide et doux. Vous en épouserez un autre, je