Page:Gautier - Lucienne, Calmann Lévy, 1877.djvu/314

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— Vous ne partirez pas sans embrasser votre sœur, dit Lucienne.

Le jeune homme la saisit dans ses bras et appuya un long baiser sur son front, puis il s’enfuit en étouffant un sanglot.

Lucienne ne put dormir cette nuit-là. La mer hurlait d’une façon sinistre. Elle allait le reprendre, l’emporter, ne plus le rendre peut-être. Jusqu’au matin, la jeune fille songea aux tempêtes, aux naufrages, à la mort affreuse des marins, loin des leurs loin du monde.

Le lendemain, M. Lemercier vint voir Lucienne. Il se laissa tomber sur une chaise avec accablement.

— C’est fini, il est parti ! dit-il, il a emporté ton bouquet.

Et ils restèrent toute la journée ensemble sans presque se parler.

La vie reprit alors toute sa monotonie. La solitude se refit dans la ville. L’hiver vint ; les personnages qui s’effaçaient un peu pendant que F… était aux étrangers revenaient aux premiers plans. Le docteur Dartoc promenait de nouveau sa mélancolie le long des rues désertes ; Max avait grandi et la barbe lui poussait ; Félix Baker songeait à épouser une des demoiselles Lenoir. Les anecdotes et les cancans circulaient de plus belle. On disait, entre autres choses, que les esprits avaient cassé tous les meubles du docteur Pascou, et le bruit courait que la romanesque boulangère voulait se faire enlever. Lucienne, cédant à l’influence inévitable de la province, com-