Page:Gautier - Lucienne, Calmann Lévy, 1877.djvu/73

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des chaises et des bancs devant la petite scène, qui s’ouvrait sur une des faces de la salle et était voilée par une toile rouge et jaune beaucoup plus large que haute.

L’orchestre, composé d’un piano à queue de Pleyel, d’un cornet à piston et d’un trombone, était placé au pied de la scène, un peu à droite, pour ne pas gêner les spectateurs. On joua l’ouverture de Zampa. Les musiciens soufflaient dans le cuivre en reployant le menton, en gonflant leurs joues empourprées et, sous leurs sourcils relevés, roulaient de gros yeux bleus qui semblaient sortir de la tête. Le piano était tenu par l’organiste de la paroisse. Les sons purs de l’instrument contrastaient bizarrement avec les couacs et les mugissements des cuivres.

Lorsque le pianiste jouait seul, et que ses acolytes s’essuyaient le front et vidaient en les secouant leurs instruments, c’était un repos délicieux pour les auditeurs. Mais lorsque le trombone se déchaînait, tous les épigastres étaient secoués d’une vibration douloureuse et les dames en riant se bouchaient les oreilles.

Les chaises étaient presque toutes occupées. Une représentation est chose si rare dans cette ville qui ne possède pas de théâtre, que toutes les bourgeoises et tous les petits commerçants avaient retenu des places. Ils étaient arrivés de bonne heure pour être devant. Il y avait madame Dumont et son fils, petit crevé de province, élégiaque et naïf ; madame Heurtebise, la boulangère, imperturbable devant les sou-