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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

unie avec cette âme. Cupidon, le dieu aux ailes d’épervier, n’a pas embrassé Psyché sur son beau front d’ivoire. Non ! — cette femme n’est pas ma maîtresse.

Si tu savais tout ce que j’ai fait pour forcer mon âme à partager l’amour de mon corps ! avec quelle furie j’ai plongé ma bouche dans sa bouche, trempé mes bras dans ses cheveux, et comme j’ai serré étroitement sa taille ronde et souple. Comme l’antique Salmacis, l’amoureuse du jeune Hermaphrodite, je tâchais de fondre son corps avec le mien ; je buvais son haleine et les tièdes larmes que la volupté faisait déborder du calice trop plein de ses yeux. Plus nos corps s’enlaçaient et plus nos étreintes étaient intimes, moins je l’aimais. Mon âme, assise tristement, regardait d’un air de pitié ce déplorable hymen où elle n’était pas invitée, ou se voilait le front de dégoût et pleurait silencieusement sous le pan de son manteau. — Tout cela tient peut-être à ce que réellement je n’aime pas Rosette, toute digne d’être aimée qu’elle soit, et quelque envie que j’en aie.

Pour me débarrasser de l’idée que j’étais moi, je me suis composé des milieux très-étranges, où il était tout à fait improbable que je me rencontrasse, et j’ai tâché, ne pouvant jeter mon individualité aux orties, de la dépayser de façon qu’elle ne se reconnût plus. J’y ai assez médiocrement réussi, et ce diable de moi me suit obstinément ; il n’y a pas moyen de s’en défaire ; — je n’ai pas la ressource de lui faire dire, comme aux autres importuns, que je suis sorti ou que je suis allé à la campagne.

J’ai eu ma maîtresse au bain, et j’ai fait le Triton de mon mieux. — La mer était une fort grande cuve de marbre. — Quant à la Néréide, ce qu’elle faisait voir accusait l’eau, toute transparente qu’elle fût, de ne pas