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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

compte devant Dieu, lui donner au moins ce bonheur de croire qu’il avait été passionnément aimé. — Il m’inspirait assez de pitié et d’intérêt pour aisément pouvoir prendre avec lui un ton et des manières assez tendres pour lui faire illusion. J’ai joué mon rôle en comédienne consommée ; j’ai été enjouée et mélancolique, sensible et voluptueuse ; j’ai feint des inquiétudes et des jalousies ; j’ai versé de fausses larmes, et j’ai appelé sur mes lèvres des essaims de sourires composés. — J’ai paré ce mannequin d’amour des plus brillantes étoffes ; je l’ai fait promener dans les allées de mes parcs ; j’ai invité tous mes oiseaux à chanter sur son passage, et toutes mes fleurs dahlias et daturas à le saluer en inclinant la tête ; je lui ai fait traverser mon lac sur le dos argenté de mon cygne chéri ; je me suis cachée dedans, et je lui ai prêté ma voix, mon esprit, ma beauté, ma jeunesse, et je lui ai donné une apparence si séduisante, que la réalité ne valait pas mon mensonge. Quand le temps sera venu de briser en éclats cette creuse statue, je le ferai de manière à ce qu’il croie que tout le tort est de mon côté et à lui en épargner le remords. — C’est moi qui donnerai le coup d’épingle par où doit s’échapper le vent dont ce ballon est plein. — N’est-ce pas là une sainte prostitution et une honorable tromperie ? J’ai dans une urne de cristal quelques larmes que j’ai recueillies au moment où elles allaient tomber. — Voilà mon écrin et mes diamants, et je les présenterai à l’ange qui me viendra prendre pour m’emmener à Dieu.

Théodore.

Ce sont les plus beaux qui puissent briller au cou d’une femme. Les parures d’une reine ne valent pas celles-là. — Pour moi, je pense que la liqueur que Madeleine