Page:Gautier - Mademoiselle de Maupin (Charpentier 1880).djvu/232

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
226
MADEMOISELLE DE MAUPIN.

à fait dédalienne et réjouissante. On peut arriver de cette façon jusqu’à une femme étroitement gardée, ou brusquer quelque bonne fortune à la faveur de la surprise. Mais je ne sais pas trop les avantages qu’il y a pour une belle et jeune femme à courir le pays en habits d’homme : elle ne peut qu’y perdre. Une femme ne doit pas renoncer ainsi au plaisir d’être courtisée, madrigalisée et adorée ; elle renoncerait plutôt à la vie, et elle aurait raison, car qu’est-ce que la vie d’une femme sans tout cela ? — Rien, — ou quelque chose de pis que la mort. Et je m’étonne toujours que les femmes qui ont trente ans ou la petite vérole, ne se jettent pas du haut d’un clocher en bas.

Malgré tout cela, quelque chose de plus fort que tous les raisonnements me crie que c’est une femme, et que c’est elle que j’ai rêvée, elle que je dois aimer uniquement, et qui m’aimera uniquement : — oui, c’est elle, la déesse aux regards d’aigle, aux belles mains royales, qui me souriait avec condescendance du haut de son trône de nuées. Elle s’est présentée à moi sous ce déguisement pour m’éprouver, pour voir si je la reconnaîtrais, si mon regard amoureux pénétrerait les voiles dont elle s’était enveloppée, comme dans ces contes merveilleux où les fées apparaissent d’abord sous des figures de mendiantes, puis se relèvent tout à coup resplendissantes d’or et de pierreries.

Je t’ai reconnue, ô mon amour ! À ton aspect, mon cœur a sauté dans ma poitrine comme saint Jean dans le ventre de sainte Anne, lorsqu’elle fut visitée par la Vierge ; une lueur flamboyante s’est répandue dans l’air ; j’ai senti comme une odeur de divine ambroisie ; j’ai vu à tes pieds la traînée de feu, et j’ai compris sur-le-champ que tu n’étais pas une simple mortelle.