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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

Cette passion aurait pu rendre un jeune homme si heureux ! tant d’infortunés, beaux, charmants, bien doués, pleins de cœur et d’esprit, ont vainement supplié à genoux d’insensibles et mornes idoles ! tant d’âmes tendres et bonnes se sont jetées de désespoir dans les bras des courtisanes, ou se sont éteintes silencieusement comme des lampes dans des tombeaux, et qui auraient été sauvées de la débauche et de la mort par un sincère amour !

Quelle bizarrerie dans la destinée humaine ! et que le hasard est un grand railleur !

Ce que tant d’autres avaient désiré ardemment me venait, à moi qui n’en voulais pas et ne pouvais pas en vouloir. Il prend fantaisie à une jeune fille capricieuse de courir le pays en habits d’homme pour savoir un peu à quoi s’en tenir sur le compte de ses amants futurs ; elle couche dans une auberge avec un digne frère qui l’amène par le bout du doigt devant sa sœur, qui n’a rien de plus pressé que d’en devenir amoureuse comme une chatte, comme une colombe, comme tout ce qu’il y a d’amoureux et de langoureux au monde. — Il est bien évident que, si j’eusse été un jeune homme et que cela eût pu me servir à quelque chose, il en eût été tout autrement, et que la dame m’eût prise en horreur. — La fortune aime assez à donner des pantoufles à ceux qui ont des jambes de bois, et des gants à ceux qui n’ont pas de mains ; — l’héritage qui aurait pu vous faire vivre à votre aise vous vient ordinairement le jour de votre mort.

J’allais quelquefois, non pas aussi souvent qu’elle aurait voulu, voir Rosette dans sa ruelle ; quoique habituellement elle ne reçût que debout, cependant, en ma faveur, on passait par là-dessus. — On eût passé par-dessus bien d’autres choses, si j’eusse voulu ; — mais,