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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

n’étaient plus et qu’elle regrettait donnait à sa figure une mélancolique expression d’attendrissement. — Je me taisais, de peur de la troubler dans ses pensées, et le silence dura quelques minutes : elle le rompit enfin.

— Ce sont les vrais yeux de Henri, — de mon cher Henri, le même regard humide et brillant, le même port de tête, la même physionomie douce et fière ; — on dirait que c’est lui. — Vous ne pouvez vous imaginer à quel point va cette ressemblance, monsieur Théodore ; — quand je vous vois, je ne puis plus croire que Henri est mort ; je pense qu’il a été seulement faire un long voyage dont le voici enfin revenu. — Vous m’avez fait bien du plaisir et bien de la peine, Théodore : — plaisir, en me rappelant mon pauvre Henri ; peine, en me montrant combien grande est la perte que j’ai faite ; quelquefois je vous ai pris pour son fantôme. — Je ne puis me faire à cette idée que vous nous allez quitter ; il me semble que je perds mon Henri encore une fois.

Je lui dis que, s’il m’était réellement possible de rester plus longtemps, je le ferais avec plaisir, mais que mon séjour s’était déjà prolongé bien au delà des bornes qu’il aurait dû avoir ; que, du reste, je me proposais bien de revenir, et que le château me laissait de trop agréables souvenirs pour l’oublier aussi vite.

— Si fâchée que je sois de votre départ, monsieur Théodore, reprit-elle poursuivant son idée, il y a ici quelqu’un qui le sera plus que moi. — Vous comprenez bien de qui je veux parler sans que je le dise. Je ne sais pas ce que nous ferons de Rosette quand vous serez parti ; mais ce vieux château est bien triste. Alcibiade est toujours à la chasse, et, pour une jeune femme comme elle, la société d’une pauvre impotente comme moi n’est pas très-récréative.