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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

je n’étais. Je suivais partout ces jeunes écervelés : je montais à cheval, je chassais, je faisais des orgies avec eux, car, petit à petit, je m’étais formée à boire ; sans atteindre à la capacité tout allemande de certains d’entre eux, je vidais bien deux ou trois bouteilles pour ma part, et je n’étais pas trop grise, progrès fort satisfaisant. Je rimais en Dieu avec une excessive richesse, et j’embrassais assez délibérément les filles d’auberge. — Bref, j’étais un jeune cavalier accompli et tout à fait conforme au dernier patron de la mode. — Je me défis de certaines idées provinciales que j’avais sur la vertu et autres fadaises semblables ; en revanche, je devins d’une si prodigieuse délicatesse sur le point d’honneur, que je me battais en duel presque tous les jours : cela même était devenu une nécessité pour moi, une espèce d’exercice indispensable et sans lequel je me serais mal portée toute la journée. Aussi, quand personne ne m’avait regardée ou marché sur le pied, que je n’avais aucun motif pour me battre, plutôt que de rester oisive et ne point mener des mains, je servais de second à mes camarades ou même à des gens que je ne connaissais que de nom.

J’eus bientôt une colossale renommée de bravoure, et il ne fallait rien moins que cela pour arrêter les plaisanteries qu’eussent immanquablement fait naître ma figure imberbe et mon air efféminé. Mais trois ou quatre boutonnières de surplus que j’ouvris à des pourpoints, quelques aiguillettes que je levai fort délicatement sur quelques peaux récalcitrantes me firent généralement trouver l’air plus viril qu’à Mars en personne, ou à Priape lui-même, et vous eussiez rencontré des gens qui eussent juré avoir tenu de mes bâtards sur les fonts de baptême.

À travers toute cette dissipation apparente, dans cette