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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

tai la tête de la petite, et fis si bien que je la décidai à quitter la maison. — Quelques bouquets, à peu près autant de baisers, et un collier de perles que je lui donnai, la charmèrent à un point difficile à décrire, et elle prenait devant ses petites amies un air important on ne peut plus risible.

Je fis faire un costume de page très-élégant et très-riche à peu près à sa taille, car je ne pouvais l’emmener dans ses habits de fille, à moins de me remettre moi-même en femme, ce que je ne voulais pas faire. — J’achetai un petit cheval doux et facile à monter, et pourtant assez bon coureur pour suivre mon barbe quand il me plaisait d’aller vite. Puis je dis à la belle de tâcher de descendre à la brune sur la porte, et que je l’y prendrais : ce qu’elle exécuta très-ponctuellement. — Je la trouvai qui se tenait en faction derrière le battant entrebâillé. Je passai fort près de la maison ; elle sortit, je lui tendis la main, elle appuya son pied sur la pointe du mien, et sauta fort lestement en croupe, car elle était d’une agilité merveilleuse. Je piquai mon cheval, et, par sept ou huit ruelles détournées et désertes, je trouvai moyen de revenir chez moi sans que personne nous vît.

Je lui fis quitter ses habits pour mettre son travestissement, et je lui servis moi-même de femme de chambre ; elle fit d’abord quelques façons, et voulait s’habiller toute seule ; mais je lui fis comprendre que cela perdrait beaucoup de temps, et que, d’ailleurs, étant ma maîtresse, il n’y avait pas le moindre inconvénient, et que cela se pratiquait ainsi entre amants. — Il n’en fallait pas tant pour la convaincre, et elle se prêta à la circonstance de la meilleure grâce du monde.

Son corps était une petite merveille de délicatesse. — Ses bras, un peu maigres comme ceux de toute jeune fille, étaient d’une suavité de linéaments inexprimable