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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

jours sur tous les cavaliers qui sont ici. Toutes ces dames ne conçoivent rien à ces passions qui naissent dans l’intimité et se développent lentement dans le respect et dans le silence : elles sont pour les coups de foudre et les sympathies occultes ; — chose merveilleusement bien imaginée pour épargner les ennuis de la résistance et toutes ces longueurs et ces redites que le sentiment entremêle au roman de l’amour, et qui ne font qu’en différer inutilement la conclusion. — Ces dames sont très-économes de leur temps, et il leur paraît tellement précieux, qu’elles seraient au désespoir d’en laisser une seule minute inemployée. — Elles ont une envie d’obliger le genre humain qu’on ne saurait trop louer, et elles aiment leur prochain comme elles-mêmes, — ce qui est parfaitement évangélique et méritoire ; ce sont de très-charitables créatures, qui ne voudraient, pour rien au monde, faire mourir un homme de désespoir.

Il doit déjà y en avoir trois ou quatre de frappées en ta faveur, et je te conseillerais amicalement de pousser ta pointe avec vivacité de ce côté-là, au lieu de t’amuser à bavarder avec moi dans l’embrasure d’une fenêtre, ce qui ne t’avancera pas à grand’chose.

— Mais, mon cher C***, je suis tout à fait neuf sur ces matières-là. Je n’ai point ce qu’il faut du monde pour distinguer au premier coup d’œil une femme frappée d’avec une qui ne l’est point ; et je pourrais commettre d’étranges bévues, si tu ne m’aidais de ton expérience.

— En vérité, tu es d’un primitif qui n’a pas de nom, et je ne croyais pas qu’il fût possible d’être aussi pastoral et aussi bucolique que cela dans le bienheureux siècle où nous sommes ! — Que diable fais-tu donc de cette grande paire d’yeux noirs que tu as là, et qui serait de l’effet le plus vainqueur, si tu savais t’en servir ?