Page:Gautier - Portraits contemporains, 1881.djvu/116

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
106
PORTRAITS CONTEMPORAINS.

lisme lui répugnait singulièrement, et il regardait le temps et le talent qu’on y consacrait comme perdus ; il n’aimait guère non plus les journalistes, et lui, si grand critique pourtant, méprisait la critique. Les portraits peu flattés qu’il a tracés d’Étienne Lousteau, de Nathan, de Vernisset, d’Andoche Finot, représentent assez bien son opinion réelle à l’endroit de la presse. Émile Blondet, mis dans cette mauvaise compagnie pour représenter le bon écrivain, est récompensé de ses articles aux « Débats » imaginaires de la Comédie humaine par un riche mariage avec la veuve d’un général, qui lui permet de quitter le journalisme.

Du reste, Balzac ne travailla jamais au point de vue du journal. Il portait ses romans aux revues et aux feuilles quotidiennes tels qu’ils étaient venus, sans préparer de suspensions et de traquenards d’intérêt à la fin de chaque feuilleton, pour faire désirer la suite. La chose était coupée en tartines à peu près d’égale longueur, et quelquefois la description d’un fauteuil ’commencée la veille finissait le lendemain. Avec raison, il ne voulait pas diviser son œuvre en petits tableaux de drame ou de vaudeville ; il ne pensait qu’au livre. Cette façon de procéder nuisit souvent au succès immédiat que le journalisme exige des auteurs qu’il emploie. Eugène Sue, Alexandre Dumas l’emportèrent fréquemment sur Balzac dans ces batailles de chaque matin qui passionnaient alors le public. Il n’obtint pas de ces vogues immenses, comme celles des Mystères de Paris et du Juif-Errant, des Mousquetaires et de Monte-Christo. — Les Paysans, ce chef-d’œuvre, provoquèrent même un grand nombre de désabonnements à la Presse, où en parut la première partie. On dut interrompre la publication. Tous les jours arrivaient des lettres qui demandaient qu’on en finît. — On trouvait Balzac ennuyeux !