Page:Gautier - Portraits contemporains, 1881.djvu/209

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Edmond avait été l’initiateur littéraire de Jules, mais toute différence entre le maître et l’élève avait disparu depuis longtemps. Sur un plan sans doute convenu d’avance, ils pensaient et travaillaient ensemble, se passant par-dessus la table ce qu’ils avaient écrit chacun de son côté, et le résumaient dans une version définitive. C’étaient des esprits curieux, raffinés, ayant l’horreur des banalités et des phrases toutes faites. Pour éviter le commun, ils seraient allés jusqu’à l’outrance, jusqu’au paroxysme, jusqu’à faire éclater l’expression comme une bulle trop soufflée. Mais quel soin de style, quelle recherche exquise, quel choix rare et nouveau, quelle amoureuse patience d’exécution ! Quand ils écrivent l’histoire, comme ils ne se contentent pas des documents qui s’offrent tout d’abord imprimés dans les livres, comme ils vont aux pièces originales, aux autographes, aux brochures inconnues, aux journaux oubliés, aux mémoires secrets, aux tableaux, aux estampes, aux gravures de modes, à tout ce qui peut révéler un détail caractéristique et donner la physionomie d’un temps ! Mais ne voyez pas en eux des romanciers qui veulent charger à la hâte leur palette de couleur locale. Ces deux bénédictins fashionables travaillaient dans leur coquet appartement de la rue Saint-Georges, encombré des jolis brimborions du dix-huitième siècle, aussi sérieusement que s’ils eussent été au fond d’un cloître. Ils sont d’une exactitude scrupuleuse. Chaque singularité qu’ils avancent a ses preuves authentiques. Les maîtres de l’histoire et de la critique, Michelet et Sainte-Beuve, les citent comme des autorités pour tout ce qui regarde le règne de Louis XVI, la Révolution et le Directoire, qu’ils connaissent à fond et dont ils savent tous les dessous. Dans le roman, ils ont essayé de rendre, avec une minutie et une clairvoyance implacables, la réalité étendue sur leur