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JULES JANIN.

tout ce qui n’était pas grec. Mais sa dévotion à ces autels importés ne fut jamais bien fervente.

Comme la plupart des auteurs, à cette époque précoce et de maturité prompte, il eut son talent tout de suite, et ses premiers coups furent des coups de maître. On ne peut s’imaginer, aujourd’hui qu’on est habitué à ce perpétuel miracle, quel effet produisit alors ce style si neuf, si jeune, si pimpant, d’une harmonie charmante, d’une fraîcheur de ton incomparable, ayant sur la joue un velouté de pastel avivé d’une petite mouche, avec son essaim de phrases légères, ailées, voltigeant çà et là et comme au hasard, sous leur draperie de gaze, mais se retrouvant toujours, en rapportant des fleurs qui se rassemblaient d’elles-mêmes en un bouquet éblouissant, diamanté de rosée, et répandant les parfums les plus suaves.

Où va-t-il ? se demandait-on avec cette inquiétude bientôt rassurée qu’excitent les tours de force bien faits, quand, au début d’un feuilleton, il partait d’un mélodrame ou d’un vaudeville à la poursuite d’un paradoxe, d’une fantaisie ou d’un rêve, s’interrompant pour conter une anecdote, pour courir après un papillon, laissant et reprenant son sujet, ouvrant, entre les crochets d’une parenthèse, une perspective de riant paysage, une fuite d’allée bleuâtre terminée par un jet d’eau ou une statue, s’amusant comme un gamin à tirer des pétards aux jambes du lecteur, et riant à pleine gorge du soubresaut involontaire produit par la détonation ; mais voici qu’en vagabondant, au détour d’un petit chemin, il a rencontré l’idée qui se promenait. Il la regarde, il la trouve belle, et noble, et chaste. En tomber amoureux est l’affaire d’un instant ; il se monte, il s’échauffe, il se passionne ; le voilà devenu sérieux, éloquent, convaincu ; il défend avec une lyrique indignation d’honnêteté le beau,