Page:Gautier - Portraits du XIXe siècle, Poëtes et romanciers.djvu/287

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

esprit surnaturalisé. Et que dire de Manette ? Non, j’aime mieux me taire, j’aime mieux avouer mon impuissance. Mais si j’étais l’éditeur de ces livres charmants, je sais bien ce que j’en ferais. Je réunirais en un volume ces quatre nouvelles que j’ai énumérées tout à l’heure ; j’en confierais l’illustration (ce mot est déplorable) au crayon de Giacomelli, et j’en composerais un des plus délicieux livres d’enfants qui puissent nous consoler ici-bas du succès de tant de platitudes…

Toutefois, ne croyez pas que vous connaissiez encore tout notre Ourliac. Je passe rapidement sur un petit volume intitulé : Croquis, où l’on pourrait imprimer côte à côte la fameuse étude sur le Gendarme, qui valut à l’auteur les plus douces étreintes de la gendarmerie reconnaissante, la Physiologie de l’Écolier et le Gascon. Je ne veux même point parler de ses romans ; de cette Suzanne, qui est, j’en ai fait l’épreuve, l’œuvre préférée de tous les lecteurs d’Ourliac dont l’esprit n’est pas profondément chrétien ; ni même de cette Marquise de Montmirail, où la vie de province est si exactement rendue, trop exactement peut-être et, comme j’osais le dire plus haut, trop photographiquement (mille pardons pour cet adverbe). Ces deux romans, disons-le, sont des meilleurs parmi ceux de notre temps. Cette jeune fille, dans Suzanne, qui met une obstination si prodigieuse à aimer l’homme le plus indigne de son amour ; qui, méprisée, délaissée, battue par un orgueilleux, par un égoïste, par un lâche, l’aime encore, l’aime toujours, l’aime avec d’autant plus de tendresse passionnée qu’elle est plus misérable et plus abandonnée ; cette Mlle Des Ilets est une création originale et forte. J’en dirai autant de la belle marquise de Montmirail, fière, irascible, mais chrétienne et noble, qui