Page:Gautier - Quand on voyage.djvu/265

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dans leurs hautes selles, presque debout sur leurs étriers moresques et la lance arc-boutée sous le bras aussi solidement que si elle eût eu pour point d’appui le faucre des cuirasses du moyen âge. Les chulos, qu’il poursuivit quelques pas, le capéèrent et le ramenèrent du côté des picadores. Le taureau, avisant cette masse immobile, fondit dessus, et, malgré la douleur que lui fit à l’épaule la pointe de la vara, il força la défense et arriva jusqu’au cheval, qu’il bouscula en désarçonnant à demi le cavalier.

Jusque-là, tout allait bien pour les nerfs des spectateurs novices et sensibles ; mais un coup de corne enfoncé dans le poitrail de la monture du second picador en fit jaillir un flot de sang noir que nous ne saurions mieux comparer qu’au jet de vin violet s’épanchant d’une outre crevée. Le cheval fut vidé presque en un instant et s’affaissa, agitant ses sabots en de faibles ruades. À peine avait-on eu le temps d’enlever le picador et de le poser sur une autre bête.

Plus d’un honnête visage français pâlit et se décomposa, plus d’un front se couvrit de sueur froide, et l’un de nos compagnons quitta la loge, un flacon de sels sous le nez : une minute de plus, il serait tombé en syncope. Les autres restèrent, et, bien que deux ou