Page:Gautier - Quand on voyage.djvu/285

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

romantique, si savoureusement local, ayant si bien le fumet du terroir ! Quoique Velasquez fût savant, qu’il connût par plusieurs voyages les chefs-d’œuvre de l’art italien et de l’antiquité, qu’il eût même fait des études et des copies d’après les maîtres, il ne ressemble à personne. Son sentiment, ses procédés lui appartiennent ; aucune tradition n’y apparaît : il semble avoir inventé la peinture et du même coup l’avoir portée à sa perfection. Nul voile, nul intermédiaire, entre lui et la nature ; l’outil même est invisible, et ses figures paraissent fixées dans leur cadre par une opération magique. Elles vivent avec leur enveloppe d’atmosphère d’une vie si intense, si mystérieuse et si réelle à la fois, qu’elles donnent au présent la sensation du passé. On se demande si les spectateurs qui contemplent ces toiles ne sont pas des ombres, et les personnages peints des personnages vivants regardant d’un air vague et hautain d’importuns visiteurs. Certes, les contemporains de ces admirables portraits, qui expriment en même temps l’homme extérieur et l’homme intérieur, n’avaient pas des modèles eux-mêmes une perception plus nette, plus vraie, plus vibrante ; on peut même penser qu’elle était moindre que la nôtre, puisqu’un grand artiste comme Velasquez ajoute à ce qu’il peint son génie