Page:Gautier - Spirite (Charpentier 1886).djvu/105

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d’une lune d’hiver, prenait, au bout de la large rue Royale, un air de Parthénon que le jour lui enlève. Arrivés là, les deux amis se séparèrent et remontèrent dans leurs coupés.

Rentré chez lui, Malivert se jeta dans son fauteuil, et, le coude appuyé sur la table, se mit à rêver. L’apparition de Spirite dans la glace lui avait inspiré ce désir immatériel, cette volition ailée que fait naître la vue d’un ange ; mais sa présence au bord du lac sous une forme plus réellement féminine lui mettait au cœur toute la flamme de l’amour humain. Il se sentait baigné par des effluves ardentes et possédé par cet amour absolu que ne rassasie pas l’éternelle possession. Comme il songeait, le poing allongé sur la table couverte de papiers, il vit sur le fond sombre du tapis turc se dessiner une main étroite de forme allongée et d’une perfection que l’art n’a pas égalée et que la nature essayerait en vain d’atteindre : une main diaphane, aux doigts effilés, aux ongles luisants comme de l’onyx, dont le dos laissait transparaître quelques veines d’azur semblables à ces reflets bleuâtres irisant la pâte laiteuse de l’opale, et qu’éclairait une lumière qui n’était pas celle de la lampe. Pour la fraîcheur rosée du ton et l’idéale délicatesse de la forme, ce ne pouvait être que la main de Spirite. Le poignet mince, fin, dégagé, plein de race, se perdait dans une vapeur de vagues dentelles.