Page:Gautier - Spirite (Charpentier 1886).djvu/115

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Tant que j’étais renfermée entre ces hautes murailles, j’avais le droit de me bercer indolemment dans mon rêve sans me rien reprocher ; mais une fois envolée de la cage, il fallait diriger mon vol, tendre à mon but, monter vers mon étoile, et les usages, les mœurs, les convenances, les pudeurs infinies, les voiles multipliés dont la civilisation l’entoure, interdisent à une jeune fille toute initiative de cœur. Aucune démarche pour se révéler à son idéal ne lui est permise. Une juste fierté s’oppose à ce qu’elle offre ce qui doit être sans prix. Il faut que ses yeux restent baissés, ses lèvres muettes, son sein immobile ; que nulle rougeur, que nulle pâleur ne la trahisse quand elle se trouve en face de l’objet secrètement aimé, qui souvent s’éloigne, croyant au dédain ou à l’indifférence. Que d’âmes faites l’une pour l’autre, faute d’un mot, d’un regard, d’un sourire, ont pris des chemins divergents qui les séparaient de plus en plus et rendaient leur réunion à jamais impossible ! Que d’existences déplorablement manquées ont dû leur malheur à une semblable cause inaperçue de tous et parfois ignorée des victimes mêmes ! J’avais souvent fait ces réflexions, et elles se représentaient plus fortes à mon esprit au moment où j’allais quitter le couvent pour entrer dans le monde. Cependant je maintenais ma résolution. Le jour de ma sortie arriva. Ma mère vint me chercher, et je fis mes