Page:Gautier - Spirite (Charpentier 1886).djvu/125

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silencieusement dans l’angle du coupé. Ma mère releva la glace et dit : « Il ne fait pas chaud, le brouillard commence à se lever, rentrons, à moins que tu ne veuilles continuer la promenade. » Je fis un signe d’acquiescement : j’avais vu ce que je voulais voir, je savais que vous étiez à Paris.

Nous avions un jour de loge aux Italiens. C’était pour moi une grande fête d’aller entendre ces chanteurs dont j’avais lu tant d’éloges, et que je ne connaissais point. Un autre espoir aussi me remuait doucement le cœur, et je n’ai pas besoin de vous le dire. Notre jour arriva. On donnait la Sonnambula, et la Patti devait chanter. Maman m’avait fait préparer une toilette simple et charmante convenable à mon âge : un dessous de taffetas blanc recouvert d’une robe de tarlatane avec des nœuds de perles et de velours bleu. Ma coiffure consistait en une bandelette de velours de même couleur, dont les bouts flottaient sur mes épaules, et qui était entourée d’une torsade de perles. Tout en me regardant au miroir de ma toilette pendant que la femme de chambre donnait la dernière main à son œuvre, je me disais : « Aime-t-il le bleu ? Dans le Caprice, d’Alfred de Musset, Mme de Léry prétend que c’est une couleur bête. » Cependant je ne pouvais m’empêcher de trouver que ce ruban bleu faisait bien dans mes cheveux blonds ; si vous m’aviez vue, je crois que vous m’auriez aimée. Clotilde, la femme