Page:Gautier - Spirite (Charpentier 1886).djvu/145

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partie joyeuse, et je mis mon air d’abattement sur le compte d’une pointe de migraine. En échangeant contre un peignoir de nuit cette toilette qui n’avait servi à rien, puisque je ne désirais être belle que pour vous, je me disais avec un soupir : « Pourquoi ne m’a-t-il pas invitée à danser comme l’ont fait ce Hongrois, cet Anglais et ces autres gentlemen dont je ne me souciais nullement ? c’était pourtant bien simple. Quoi de plus naturel au bal ? Mais tout le monde m’a regardée, excepté le seul être dont je souhaitais l’attention. Décidément mon pauvre amour n’a pas de chance. » Je me couchai, et quelques larmes roulèrent de mes cils sur l’oreiller…

Là s’arrêta la première dictée de Spirite. Depuis longtemps déjà la lampe s’était éteinte, faute d’huile, et Malivert, comme les somnambules qui n’ont pas besoin de lumière extérieure, écrivait toujours ; les pages s’ajoutaient aux pages sans que Guy en eût la conscience. Tout à coup, l’impulsion qui guidait sa main cessa, et sa propre pensée, suspendue par celle de Spirite, lui revint. Les premières lueurs du jour filtraient à travers les rideaux de la chambre. Il les ouvrit, et la clarté blafarde d’une matinée d’hiver lui montra sur la table plusieurs feuillets couverts d’une écriture fébrile et rapide, ouvrage de sa nuit. Quoiqu’il les eût écrits de sa main, il en ignorait le contenu. Avec quelle ardente curiosité,