Page:Gautier - Spirite (Charpentier 1886).djvu/18

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

terres de Mme d’Ymbercourt jouxtaient celles de Guy ; elle possédait une soixantaine de mille francs de revenu et n’avait que vingt-deux ans. Elle avait fort convenablement regretté M. d’Ymbercourt, vieillard assez maussade, et sa position lui permettait de prendre un mari jeune et de bonne mine, d’une naissance et d’une fortune égale à la sienne. Le monde les avait donc mariés de son autorité privée, pensant que cette maison aurait un salon agréable, terrain neutre où l’on pourrait se rencontrer. Mme d’Ymbercourt acceptait tacitement cet hymen, et se regardait déjà un peu comme la femme de Guy, qui ne mettait aucun empressement à se déclarer, et même songeait à ne plus aller chez la jolie veuve, qu’il trouvait légèrement ennuyeuse aux airs légitimes qu’elle prenait par avance d’hoirie.

Ce soir-là même, Guy devait prendre le thé chez Mme d’Ymbercourt ; mais, après dîner, la nonchalance l’avait envahi ; il s’était senti si bien chez lui, qu’il avait reculé à l’idée de s’habiller et de sortir par sept ou huit degrés de froid, malgré la pelisse et le manchon d’eau bouillante placés dans sa voiture. Pour prétexte, il s’était dit que son cheval n’était pas ferré à glace et pourrait dangereusement glisser sur la neige durcie. D’ailleurs, il ne se souciait pas de laisser deux ou trois heures devant une porte, exposée à la bise, une bête que Crémieux, le célèbre marchand de chevaux des