Page:Gautier - Spirite (Charpentier 1886).djvu/24

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de Bordeaux que j’ai bus qui peuvent m’avoir porté à la tête. J’ai la cervelle plus solide que cela. Que vais-je devenir si la vérité me coule ainsi de la plume sans que je le sente ? Par bonheur j’ai relu mon épître, n’étant jamais bien sûr de mon orthographe du soir. Quel effet auraient produit ces aimables lignes par trop véridiques, et quelle mine indignée et stupéfaite aurait eue Mme d’Ymbercourt en les lisant ! Peut-être eût-il mieux valu que la lettre partît telle quelle : j’aurais passé pour un monstre, pour un sauvage tatoué, indigne de mettre une cravate blanche, mais du moins cette liaison qui m’ennuie eût été brisée net comme verre ; et le verre ne se raccommode pas, même en y collant du papier. Si j’étais un peu superstitieux, il ne tiendrait qu’à moi de voir là dedans un avertissement du ciel au lieu d’une distraction inqualifiable. »

Après une pause, Guy prit un parti violent : « Allons chez Mme d’Ymbercourt, car je suis incapable de récrire cette lettre. » Il s’habilla rageusement, et, comme il allait sortir de sa chambre, il crut entendre un soupir, mais si faible, si léger, si aérien, qu’il fallait le profond silence de la nuit pour que l’oreille pût le saisir.

Ce soupir arrêta Malivert sur le seuil de son cabinet, et lui causa cette impression que le surnaturel fait éprouver aux plus braves. Il n’y avait rien de bien effrayant dans cette note vague,