Page:Gautier - Tableaux de Siége.djvu/12

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les plus paresseux et les plus sédentaires, il fait un temps d’une splendeur sans pitié ; un ciel implacablement pur, où ne se produit d’autre nuage que quelque fumée lointaine de canon, s’étale au-dessus de nos têtes, et l’azur sur lequel se profilent les minarets du Caire et les colonnes du Parthénon n’est pas d’une transparence et d’une netteté plus parfaites. La nature a souvent de ces ironies ; ses joies ne coïncident pas avec nos tristesses, elle ne prend aucun souci de se mettre à l’unisson de nos âmes, et l’on est parfois tenté de lui reprocher ce désintéressement des affaires humaines. Cependant, quelque navré qu’on soit, quelque amer chagrin qu’on ait dans le cœur, il est difficile de ne pas se laisser gagner un peu par cette profonde sérénité, par cette lumière qui se pose sur votre ombre, par cette joie inconsciente de votre deuil. Les choses ont leur sourire comme leurs larmes, et l’on descend dans la rue, quittant le livre qu’on ne lisait que des yeux, abandonnant la page commencée d’où la pensée était absente, et vos pieds vous conduisent à votre insu sur le quai, vers cette large trouée de la Seine pleine d’air et de soleil, animée par le mouvement des eaux, où il semble